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Macron stigmatise les langues régionales

Par Thierry Kranzer

Assistant parlementaire (1992-95), chargé de couverture des réunions du comité d'experts des droits économiques, sociaux et culturels (dont linguistiques) des Nations Unies (2011-2022)



Emmanuel Macron s'est livré, en toute impunité le 14 novembre 2024 à une stigmatisation des langues régionales et de leurs locuteurs. Devant les académiciens réunis pour la publication de la neuvième édition du dictionnaire de l'Académie française, il a estimé que « les langues régionales étaient un instrument de division de la nation ». 


Un blâme et des propos qui, aujourd’hui, auraient été impensables dans n’importe quelle autre démocratie occidentale, où ce discours aurait été perçu comme une stigmatisation et une discrimination fondée sur la langue et un déni de droits. Ils témoignent, en outre, d’une méconnaissance de l’histoire linguistique de l’hexagone. Un retour à l’école s’impose… 


En France, dernier bastion officiellement monolingue du monde occidental, ces propos ahurissants sont passés comme une lettre à la poste. Le problème n'est pas que l’un des derniers pays centralisés au monde semble s’être enfermé dans une logique de ségrégation linguistique, mais que nos députés s’en soient accommodés.


Un peu de pédagogie vient toutefois éclairer ce médiocre tableau. Journaliste à l’Express et auteur de la lettre d'information hebdomadaire "Sur le bout des langues", Michel Feltin-Palas, présent ce jour-là, a consacré une vidéo sur le sujet, en rappelant un fait : aucun conflit linguistique n’a émaillé la longue histoire linguistique de France. Il y explique également la différence entre les mots « unité » et « uniformité ». Reste à espérer que le Président, et nos parlementaires, reçoivent de la part du Père Noël… un dictionnaire. 



Hasard du calendrier, le mercredi 6 novembre, Philippe Blanchet, professeur des universités en sociolinguistique et dynamique des langues à l’université de Rennes 2, était entendu par la commission des compétences législatives et réglementaires et pour l’évolution statutaire de la Corse. « Imposer une langue unique et essayer d’empêcher les gens de parler la leur, est une caractéristique des régimes despotiques », titrait France 3 Corse. « Vous faites un comparatif entre la politique linguistique de la France et celle de certains régimes despotiques ou totalitaires comme l’Italie fasciste, le franquisme ou l’URSS stalinienne, pourquoi ? », l’interroge un journaliste. « Parce que c’est un fait, tout simplement. Le fait d’imposer une langue unique et d’essayer d’empêcher les gens de parler la leur, c’est une caractéristique de ces régimes despotiques et d’autres du même type. Ce qui caractérise une tyrannie, c’est le fait de ne pas respecter les droits fondamentaux des gens, or, parmi ces droits fondamentaux, il y a le droit de parler sa propre langue », répond-t-il.


Au « Pays des droits de l’Homme », on interdit à tout particulier ou dépositaire de l’autorité publique toute discrimination fondée sur la langue parlée (c’est-à-dire la capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français) mais la parole présidentielle stigmatisante est écoutée comme un office divin. 

Comme un malheur jacobin n'arrive jamais seul, la "xénophoboglossie (1)" présidentielle exprimée le 14 novembre a magnifiquement préparé le terrain et les esprits à l'annonce, le 19 novembre, par la Cour administrative d'appel de Marseille, de la confirmation du jugement du tribunal administratif de Bastia du 9 mars 2023 annulant les délibérations de l'assemblée de Corse et du conseil exécutif de la Collectivité de Corse prises en corse.


Le grand écart


L'occasion de rappeler que la France est périodiquement montrée du doigt par les experts du Comité des droits économiques et sociaux et du Comité des droits civils et politiques des Nations Unies pour ses contradictions avec les fondamentaux du droit international s'agissant de la protection de la diversité linguistique. 


Parler français au Canada est un « acte de résistance ».

Parler corse, basque, breton ou alsacien est « une menace ». 


Ce grand écart langagier est une marque de fabrique des régimes despotiques. La réalité du cadre de ségrégation linguistique imposé en dynastie parisienne semble aujourd'hui tellement enracinée, qu'elle s'est normalisée comme un abus politique acceptable et accepté, même auprès des plus progressistes. 


Tandis que sur les plateaux de télévision français, les experts se relaient pour analyser le « génocide culturel » de la politique de russification menée dans le Dombas, ces mêmes experts se montrent incapables de la moindre forme d'empathie à l'égard des multiples génocides linguistiques passés ou en cours dans le régime jacobin. 


C'est un peu comme si on avait décidé de juger « instrument de division de la nation » les objectifs de parité entre les sexes, sans aucune forme de réaction majeure de l'intelligentsia française. 


Il est bon de rappeler que les jurisprudences françaises sont le fruit d'une interprétation douteuse de l'Article 2 de la Constitution de la République, puisqu'elles oublient les assurances données par le Garde des Sceaux au Sénat le 10 juin 1992, selon lesquelles cet article 2 ne pouvait être utilisé contre les langues régionales...


Là encore, l'amnésie collective au profit d’une situation de non-droit est une fabrique des régimes autoritaires, dans lesquels le mensonge est devenu un mode de fonctionnement normal.                   

         

(1)   Terme emprunté à l'universitaire Guy MAZARS, qui avait fustigé auprès de ses élèves de l'Institut d'anthropologie de Strasbourg (1999), une culture française marquée par une allergie à la diversité linguistique et ethnique sur son territoire.


 

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